L’interdiction de relever d’office les nullités résultant de la notification tardive du droit au silence au moment de l’arrestation
Corte di giustizia, 22 giugno 2023, causa C-660/2, K.B. e F.S. (Rilevabilità d’ufficio in materia penale)
Il divieto di rilevare d’ufficio le nullità conseguenti alla tardiva comunicazione del diritto al silenzio al momento dell’arresto
The prohibition for the trial court to raise of its own motion the annulment of the procedure due to the belated information regarding the right to remain silent when arrested
Il divieto di rilevare d’ufficio le nullità conseguenti alla tardiva comunicazione del diritto al silenzio al momento dell’arresto
The prohibition for the trial court to raise of its own motion the annulment of the procedure due to the belated information regarding the right to remain silent when arrested
Dans l’affaire C-660/21, la Cour de justice a été appelée à se prononcer sur l’interprétation de la directive 2012/13/UE, afin de comprendre si cette dernière est compatible avec une réglementation nationale interdisant au juge du fond de relever d’office les nullités résultant de la notification tardive à la personne arrêtée de son droit à garder le silence.
La question préjudicielle a émergé au cours d’un procès pénal français, à la suite de l’arrestation par la police de deux individus surpris en flagrant délit de vol de carburant. Au moment de l’arrestation, les deux personnes avaient été interrogées par les policiers sans avoir reçu la notification préalable concernant leurs droits, dont leur droit au silence, comme requis par le code de procédure pénale français (article 63-1) ainsi que par la directive 2012/13/UE. Ensuite, les policiers avaient informé un officier de police judiciaire, qui avait demandé la présentation immédiate des suspects aux fins de leur placement en garde à vue. Contrevenant à cet ordre, les policiers avaient contacté un autre officier de police. Ce dernier avait procédé à la fouille du véhicule des suspects, découvrant des éléments à charge. En outre, il avait posé des questions à ceux-ci, auxquelles ils avaient répondu. Ce n’est toutefois qu’au bout de plusieurs heures que le procureur de la République avait été informé du placement en garde à vue des personnes arrêtées lesquelles reçurent alors la notification obligatoire concernant les droits de la défense.
Conformément au CPP français, les exceptions de nullité de procédure telles que la violation de l’article 63-1 doivent être soulevées par la personne concernée ou par son avocat avant toute défense sur le fond. En l’espèce, ni les prévenus ni leurs avocats n’avaient soulevé la question dans le délai prévu. Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il est interdit aux juges du fond de relever d’office la nullité de la procédure, sauf dans le cas d’incompétence. L’obligation de communiquer ses droits à la personne arrêtée, dont le droit de se taire, est aussi consacrée aux articles 3 et 4 de la directive 2012/13/UE. Plus spécifiquement, le considérant 19 établit l’obligation de fournir cette notification au plus tard avant le premier interrogatoire officiel du suspect ou de la personne poursuivie par la police ou par une autre autorité compétente. Dans le cas d’une communication tardive, il ressort de l’article 8, par. 2, que les personnes concernées bénéficient d’un droit au recours contre les actes accomplis.
Le juge du renvoi, donc, demande à la Cour de justice de se prononcer sur la compatibilité d’une réglementation nationale qui interdit au juge de relever d’office la violation du droit à l’information par rapport au droit au recours consacré par la directive susmentionnée.
Vu que la directive ne détaille pas les modalités et les délais de recours, la Cour estime que les Etats membres disposent d’une autonomie procédurale en ce sens. La seule limite serait le respect du droit à un recours effectif, protégé par l’art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En outre, le droit au procès équitable, consacré au même article, et les droits de la défense, visés à l’article 48 de la Charte, doivent trouver application. Par conséquent, c’est à la lumière de ces principes que l’article 8, par. 2, de la directive 2013/12/UE doit être interprété.
Dans ce cadre, la circonscription des sujets ayant le pouvoir de relever la nullité en question n’est incompatible avec la directive que dans les cas où cela pourrait rendre ineffectif le droit au recours garanti à la personne suspectée ou poursuivie, ou si ses droits de la défense ou au procès équitable ont été excessivement restreints.
La Cour examine, dès lors, l’effectivité du droit au recours à la lumière de différents éléments, tels que le caractère raisonnable du délai prévu, le droit d’accès à un avocat et le droit d’accès au dossier. En particulier, la Cour de justice met l’accent sur le fait que le droit procédural français permet aux personnes suspectées et, le cas échéant, à leur avocat, d’invoquer à tout moment et par tous les moyens, dans la période entre le placement en garde à vue et la présentation de la défense sur le fond, la violation de l’obligation d’information relative au droit au silence. De plus, dans le même délai, les personnes concernées bénéficient du droit d’être assistées par un avocat, facilité par le mécanisme de l’aide juridictionnelle. Enfin, ils disposent, aussi par la voie de leurs avocats, d’un droit d’accéder à leur dossier contenant tous les actes accomplis jusqu’à ce moment.
Selon la Cour de justice, ces éléments permettent de rendre effective la possibilité pour les personnes concernées de demander l’annulation de la procédure. Par conséquent, la Cour n’estime pas que l’interdiction faite au juge du fond de relever d’office la même nullité soit incompatible avec les articles 47 et 48 de la Charte, ni avec les articles 3, 4 et 8 de la directive 2012/13/UE.
La décision en cause est largement inspirée par le principe de l’autonomie procédurale des Etats membres. Cela ressort d’une manière encore plus évidente des conclusions rendues par Avocat général Pikamäe le 26 janvier 2023. En effet, il affirme qu’une interprétation de la directive 2012/13/UE différente de celle fournie par la Cour se trouverait en conflit avec les Traités car ultra vires, puisque la compétence exercée par l’Union à travers l’adoption de cette directive doit être limitée aux prévisions de l’article 82, par. 2, TFUE, constituant sa base juridique. Cette disposition prévoit que le Parlement et le Conseil disposent du pouvoir d’adopter des directives en matière pénale (seulement) aux fins de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et la coopération entre Etats membres, tout en respectant les traditions juridiques de ceux-ci. La norme, donc, ne supposerait pas une harmonisation entre les systèmes procéduraux pénaux nationaux (c’est pour ce motif que l’adoption de règlements n’est pas prévue), mais plutôt la détermination de quelques éléments essentiels au renforcement de la confiance réciproque, qui constitue le fondement de la reconnaissance mutuelle en matière pénale.
Toutefois, il faut souligner que le législateur européen a estimé que le droit à l’information mérite l’inclusion dans ces éléments essentiels, ainsi qu’il ressort de sa mention dans le Programme de Stockholm et, par la suite, de l’adoption de la directive 2012/13/UE.
Ensuite, en rappelant le lien classique entre souveraineté et matière pénale, l’Avocat général souligne que la détermination de l’équilibre entre intérêts collectifs et individuels intrinsèque au droit procédural pénal demeure une prérogative du législateur national. Ainsi, chaque système juridique connaît une compénétration différente d’éléments typiques des procédures accusatoires et inquisitoires. De ce fait, les Etats membres restent libres de déterminer le rôle confié à la fois aux parties et au juge. Dans cette perspective, la reconnaissance du pouvoir de relever d’office une nullité considérée comme “relative” par le CPP français aurait eu un impact significatif sur la structure de la procédure nationale, ainsi que sur l’équilibre entre les pouvoirs attribués aux différents acteurs du procès pénal. Cet impact se serait produit, de surcroît, dans une affaire dépourvue de caractère transnational. La solution aurait pu être différente si l’affaire était née lors de la mise en œuvre d’un mandat d’arrêt européen.
Ainsi, en vue de mettre en valeur les particularités du système juridique français, l’Avocat général souligne le caractère “personnel” du droit au silence conformément au droit interne. Par conséquent, le sujet est libre d’exercer ce droit, comme il est libre de déterminer sa stratégie de défense et de soulever ou non la violation de son droit de se taire.
Concernant le premier point, il ne fait aucun doute que dans le cas d’espèce le libre choix relatif à l’exercice du droit au silence ait été gravement affecté par l’absence de la notification due à la personne arrêtée. Quant au second point, la liberté de choisir sa stratégie défensive exige, certes, l’assistance d’un avocat. Toutefois, elle doit aussi être évaluée à la lumière des pouvoirs et des limites de la défense, dépendant du droit de la procédure. Cela est lié à la question de l’effectivité du droit au recours, et notamment à la raisonnabilité de l’échéance prévue.
Or, la Cour considère que la durée du délai prévu soit satisfaisante, s’écoulant du moment de l’arrestation jusqu’à la première défense présentée sur le fond. Pourtant, ce qu’elle ne considère pas c’est que dans certaines procédures ces deux moments sont très proches l’un de l’autre. Cela concerne, en particulier, la procédure de comparution immédiate (articles 393 et suivants du CPP français), où l’audience doit se dérouler en principe le jour même du placement en garde à vue.
Il faut aussi considérer que, par le passé, la Cour de justice a, dans certains cas, reconnu que la protection de l’effectivité du droit européen exigeait la reconnaissance au juge d’un pouvoir de relever les nullités ex officio. La référence à la jurisprudence développée en matière de clauses abusives dans les contrats conclus par le consommateur est particulièrement intéressante. Cette jurisprudence a parfois provoqué des effets disruptifs dans les systèmes procéduraux internes : il suffit de penser à la récente décision (C-600/19) dans laquelle la Cour du Luxembourg a jugé que l’interdiction de relever d’office le caractère abusif de la clause au moment de l’exécution civile du jugement devenu définitif était incompatible avec le droit de l’Union européenne.
Selon la Cour et l’Avocat général Pikamäe, l’orientation jurisprudentielle formée en la matière des clauses abusives n’est pas applicable à d’autres domaines en raison de la spécificité du droit de la consommation, car ce dernier est caractérisé par la position de faiblesse du consommateur concernant et son pouvoir contractuel et son niveau d’information. Ainsi, cette faiblesse nécessite d’être balancée à travers un rôle plus actif du juge. Par contre, l’Avocat général considère qu’en matière pénale la recherche d’un équilibre entre répression, durée du procès et droits de l’individu demeure l’apanage du législateur national. De plus, il affirme que la protection offerte par le droit national et supranational aux personnes suspectées ou poursuivies est plus étendue que celle accordée au consommateur. Pour cette raison, il parvient à la critiquable conclusion selon laquelle la personne arrêtée subirait moins l’asymétrie informative que le consommateur, bien que l’état de privation de liberté provoque généralement une profonde vulnérabilité chez la personne qui le subit.
Un dernier aspect digne d’attention concerne la comparaison faite par la Cour de justice avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, effectuée sur la base de la clause de protection équivalente de l’article 52, par. 3, de la Charte. En l’espèce, la Cour de justice a invoqué la décision Ibrahim c. Royaume Uni. Dans ce cas, il avait été décidé que la violation du droit d’accès à un avocat, consacré par le droit national et par la CEDH, n’entraînait pas en elle-même l’iniquité de la procédure, puisqu’il fallait évaluer si la procédure dans son ensemble avait été “juste”. Cette évaluation globale (overall approach) doit être effectuée en tenant compte d’une série de facteurs, parmi lesquels la valeur des déclarations recueillies en l’absence d’information entre les autres pièces à charge, ainsi que la force des autres éléments du dossier. Il s’agit d’une appréciation essentiellement étrangère aux systèmes juridiques nationaux et très critiquée par la doctrine (e.g. M. Caianiello, 2021; O. Mazza, 2014), postulant une compensation entre aspects distincts du procès équitable. Dans le cas d’espèce, quoique la Cour de justice n’utilise pas expressément un overall approach, le raisonnement suivi paraît très similaire. En effet, même dans cette affaire, certains éléments du procès équitable, tel que le droit à l’avocat et à l’accès au dossier, sont employés pour contrebalancer la violation du droit au silence.
Il faut noter, par ailleurs, que l’idée d’une “évaluation globale” s’adapte mieux au fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme, puisqu’elle intervient après la conclusion de l’affaire au niveau national. Cela signifie que sa décision peut remettre en question l’ensemble de la procédure accomplie. La même prudence est moins nécessaire pour ce qui concerne la Cour de justice vu que, par la voie du renvoi préjudiciel, elle peut intervenir au milieu du procès.
En revanche, la Cour semble avoir négligé, dans la jurisprudence Ibrahim, le problème de la force probante des preuves obtenues irrégulièrement. En effet, la question de l’utilisation des pièces à charge “viciées” dans la procédure a quo n’est pas traitée. Cet aspect est, pourtant, couvert par l’Avocat général dans ses conclusions. Il rappelle un alinéa de l’article préliminaire du CPP français établissant l’interdiction de prononcer une condamnation sur le seul fondement de déclarations faites sans que le droit de se taire ait été notifié. En outre, comme il ressort de l’article 429 du CPP, les actes irréguliers ne possèdent pas de valeur probatoire, même s’ils demeurent formellement valables. Pourtant, bien qu’ils ne puissent pas fonder une condamnation, ils contribuent à l’intime conviction du juge. L’ensemble de ces considérations aurait pu être examiné d’une manière plus approfondie par la Cour aux fins de la décision. En effet, du point de vue d’une (critiquable) appréciation de l’équité globale de la procédure, le défaut de force probante des propos recueillis en violation de l’un des droits au procès équitable revêt une importance fondamentale, puisqu’il permet de limiter les effets procéduraux de l’absence de contestation dans le délai prévu par la personne poursuivie ou par son avocat. Toutefois, le silence de la Cour à ce propos ouvre des champs d’interrogation inquiétants concernant la validité d’une réglementation nationale qui considère utilisables les actes accomplis en violation des droits au procès équitable et non contestés, pour autant que le droit au recours ait été effectif.