Third Time’s a Charm? Sanctions pécuniaires au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE : l’arrêt Commission c. Pologne (directive Lanceurs d’alerte)
Corte di giustizia, 25 aprile 2024, causa C‑147/23, Commissione c. Polonia
Third time’s a charm? Sanzioni finanziarie ai sensi dell’articolo 260, par. 3, TFUE: la sentenza in Commissione c. Polonia (direttiva informatori)
Third Time’s a Charm? Financial Penalties under Article 260(3) TFEU: the judgment in Commission v. Poland (Whistleblower Directive)
Introduction
Dans l’arrêt Commission c. Pologne (Directive Lanceurs d’alerte), publié le 25 avril dernier, la Cour s’écarte des propositions de sanctions pécuniaires de la Commission, formulées sur le fondement des lignes directrices contenues dans la communication de la Commission 2023/C 2/01, « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (ci-après la « communication de 2023 »).
Elle indique que la Commission ne saurait présumer, d’une part, que la violation de l’obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive doit être considérée comme ayant la même gravité quelles que soient les circonstances de l’espèce et, d’autre part, qu’il existerait une corrélation entre la taille de la population d’un État membre et sa capacité de paiement.
Ce faisant, elle invite la Commission à revoir, pour la troisième fois (voir, précédemment, les arrêts du 14 novembre 2018 et du 20 janvier 2022), sa méthode de calcul du « facteur n », lequel vise à assurer que le montant des sanctions pécuniaires proposé par cette institution reflète la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres.
L’affaire Commission c. Pologne
La communication de 2023 contient la méthode de calcul appliquée par la Commission lorsque celle-ci propose à la Cour, dans le cadre d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 258 TFUE, d’imposer des sanctions pécuniaires à un État membre au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE. Cette dernière disposition s’applique lorsque l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative. Elle indique que seule la Cour est compétente pour infliger de telles sanctions pécuniaires, à savoir une somme forfaitaire et une astreinte journalière. Cependant, les propositions de la Commission lient la Cour quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et au montant maximal de cette sanction.
La procédure en manquement engagée par la Commission, en vertu de l’article 258 TFUE, contre la République de Pologne, concernait le fait que celle-ci n’avait pas adopté et n’avait pas communiqué à cette institution les mesures nécessaires à la transposition de la Directive Lanceurs d’alerte, qui vise à assurer une protection équilibrée et efficace des personnes signalant des violations du droit de l’Union.
Dans son arrêt, après avoir constaté l’existence d’un manquement, la Cour rappelle que la somme forfaitaire repose sur une appréciation des conséquences du défaut d’exécution pesant sur l’État membre concerné, tandis que l’astreinte journalière vise, en substance, à inciter un État membre dont le manquement persisterait, à mettre fin, dans les plus brefs délais à celui-ci.
Le manquement de la République de Pologne ayant persisté jusqu’à la date de l’examen des faits par la Cour, celle-ci considère que la condamnation de cet État membre au paiement d’une astreinte journalière (en plus d’une somme forfaitaire) est approprié, mais uniquement dans la mesure où ce manquement persisterait encore à la date du prononcé de l’arrêt (points 55 à 66). La Cour s’intéresse ensuite à la méthode de fixation du montant de ces sanctions. Elle rappelle que ce montant doit être adapté aux circonstances et être proportionné à l’infraction commise. Ainsi, elle doit tenir compte de plusieurs facteurs pertinents, notamment, la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté et la capacité de paiement de l’État membre en cause (point 68).
Dans la suite de l’arrêt, la Cour concentre son analyse sur deux des facteurs pertinents, à savoir, d’une part, la gravité du manquement constaté et, d’autre part, la capacité de paiement de l’État membre concerné. À cet égard, elle constate, à l’instar de la République de Pologne, que les variables mathématiques fixées par la Commission, dans la communication de 2023, s’agissant de ces deux facteurs, ne permettent pas d’assurer que le montant des sanctions pécuniaires proposé par la Commission soit adapté aux circonstances et proportionné à l’infraction commise.
Sur la gravité du manquement
La Cour indique qu’il ressort du point 3.2 de la communication de 2023 que l’absence de communication des mesures de transposition d’une directive est toujours considérée comme grave, étant donné que les États membres ont l’obligation d’adopter de telles dispositions avec de garantir l’effectivité du droit de l’Union. Selon cette communication, cela justifie l’application automatique d’un coefficient de gravité de 10 (sur une échelle comprise entre 1 et 20).
Or, la Cour conclut, faisant référence, à cet égard, aux conclusions de l’Avocat Général Emiliou dans la présente affaire, que cette application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition d’une directive fait nécessairement obstacle à ce que le montant des sanctions pécuniaires soit adapté aux circonstances et proportionnées à l’infraction commise (point 76) et, en particulier, aux conséquences du manquement sur les intérêts publics et privés (point 77). En effet, il est manifeste que de telles conséquences sont susceptibles de varier, non seulement, d’un État membre à un autre, mais également en fonction du contenu normatif de la directive non transposée (point 78). Elles doivent donc être examinées pour chaque cas spécifique, en tenant compte d’éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes (point 79).
Au vu de ces constatations, la Cour invite la Commission, lorsqu’elle propose des sanctions pécuniaires dans les cas de non-transposition de directives, à renoncer à l’application automatique d’un même coefficient de gravité de 10, au profit d’une approche où le coefficient de gravité sera apprécié au cas par cas.
Sur la capacité de paiement de l’État membre concerné
En ce qui concerne la capacité de paiement de l’État membre concerné, la Cour rappelle que le PIB de cet État membre constitue le facteur prédominant et qu’il convient de prendre en compte son évolution récente (points 81 et 82). Cela étant précisé, la Cour constate que, aux termes des points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023, la Commission décrit le facteur « n » comme une moyenne géométrique pondérée qui repose « principalement » sur le PIB des États membres et, « à titre subsidiaire », sur leur population (point 83).
La Cour considère que cette méthode de calcul repose sur la présomption selon laquelle il existerait une corrélation entre la taille de la population d’un État membre et sa capacité de paiement. Or, tel n’est pas nécessairement le cas. En résulterait un découplage du facteur « n » avec la capacité réelle de paiement de l´État membre concerné (points 83-84).
Au vu de ces éléments, la Cour conclut que la détermination de la capacité de paiement de l’État membre concerné ne saurait inclure la prise en compte d’un critère démographique, comme cela est prévu aux points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023.
Conclusions
Cette dernière conclusion de la Cour est susceptible d’avoir, en pratique, d’importantes conséquences pour les procédures de manquement, puisque la méthode mise en œuvre par la Commission afin de calculer le facteur « n » s’applique à tout type de procédure de manquement et non uniquement à celles initiées en cas de non-transposition d’une directive (voir, à cet égard, point 110 des conclusions de l’Avocat Général Emiliou).
À la suite de l’arrêt Commission c. Pologne (Directive Lanceurs d’alerte), la Commission va-t-elle complètement abandonner la prise en compte de la population de l’État membre concerné dans sa méthode de calcul du montant des sanctions pécuniaires ? Dans ses conclusions, l’Avocat Général Emiliou indique, à cet égard, que, dans le cadre d’une procédure en manquement pour non-transposition d’une directive, le fait qu’un État membre se voie infliger une sanction plus lourde parce que sa population est plus importante que celle d’un autre État membre n’est peut-être pas totalement injustifié (point 132). Toutefois, cet élément devrait se rapporter à la gravité de l’infraction, et non à la capacité de paiement des États membres.
Ainsi, s’il ne saurait être utilisé aux fins de la détermination du facteur « n », il pourrait être possible, le cas échéant, de l’inclure parmi les facteurs atténuants ou aggravants qui sont pertinents pour calculer le coefficient de gravité dans chaque cas. Il sera intéressant de voir si, dans les prochaines affaires, il y aura des développements concernant cette dernière question.