La “saga” Vivendi: l’impatto della procedura sulle condizioni di concessione della tutela cautelare e sulla delimitazione dei suoi effetti

La « saga » Vivendi : l’impact de la procédure sur les conditions d’octroi d’un référé et sur la délimitation de ses effets

The Vivendi “saga”: The Impact of Procedural Law on the Conditions to Grant Interim Measures and on the Delimitation of their Effects

1.Selon un principe philosophique attribué universellement à Aristote, « la forme est substance». Bien que l’origine dudit principe soit très éloignée du droit de l’Union européenne, certains litiges devant la Cour de justice de l’Union européenne (ci-dessous « CJUE ») démontrent que même des questions substantielles sont susceptibles d’être tranchées – ou, au moins, influencées – par le déroulement de la procédure. Telle est la clé de lecture proposée pour l’analyse de la « saga Vivendi», dont la procédure en référé a été clôturée après un complexe « chemin judiciaire », incluant plusieurs décisions adoptées par les juges des référés du Tribunal et de la Cour.

Dans un souci de clarté, il semble utile de rappeler, en ordre chronologique, les décisions que nous allons analyser. Il s’agit, notamment, des ordonnances : du président du Tribunal, du 19 janvier 2024 (ci-dessous, l’« ordonnance R1 ») ; du vice-président de la Cour, du 11 avril 2024 (ci-après, l’« ordonnance P1 »), rendue dans le cadre d’un pourvoi à l’encontre de l’ordonnance R1 ; du vice-président du Tribunal, du 13 juin 2024 (ci-dessous, l’« ordonnance R2 »), rendue après le renvoi de l’affaire suite à l’ordonnance P1 ; du vice-président du Tribunal, du 26 juillet 2024 (ci-après, l« ordonnance INTP »), adoptée suite à une demande d’interprétation de l’ordonnance R2  ; du vice-président de la Cour, du 16 août 2024 (ci-dessous, l’« ordonnance P2 »), rendue dans le cadre du pourvoi à l’encontre de l’ordonnance R2.

2.L’affaire Vivendi/Commission (T-1097/23), trouve son origine dans le projet d’acquisition de la société Lagardère par la société Vivendi (ci-après aussi la « requérante »). À la fin du 2022, ce projet avait été notifié à la Commission en tant que potentielle opération de concentration. De son côté, la Commission avait ouvert une enquête formelle sur la possibilité d’une réalisation anticipée de ladite opération, initialement autorisée, et avait adressé à la requérante une décision contenant une demande de renseignements (la « décision litigieuse ») fondée sur l’article 11, paragraphe 3, du règlement 139/2004 sur le contrôle des concentrations entre entreprises. Après avoir mis en exergue la difficulté de fournir les renseignements demandés par la Commission et avoir obtenu une prorogation du délai pour se conformer à la décision litigieuse, la requérante a finalement introduit une action visant l’annulation de ladite décision. C’est dans le cadre de cette action que la requérante a également introduit une demande en référé (affaire T-1097/23 R, Vivendi c. Commission), au vu du risque d’être sanctionnée par la Commission pour ne pas s’être conformée à la demande de renseignements. Dans ce contexte, la requérante a demandé au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision litigieuse, ainsi que d’enjoindre à la Commission de conserver certains des documents qui faisaient l’objet de sa demande.

3.Dans un premier temps, le président du Tribunal a fait droit aux conclusions en référé de la requérante par le biais d’une ordonnance inaudita altera parte (T-1097/23 R-R) fondée sur l’article 157, deuxième paragraphe, du règlement de procédure (ci-dessous « RPT »). Cette dernière a toutefois été rapportée par l’ordonnance R1, dans laquelle il a rejeté la demande de la requérante. Plus précisément, parmi les trois conditions justifiant l’octroi d’une protection provisoire (pour une étude complète et détaillée de ce type de protection juridictionnelle, voyez notamment M. F. Orzan, 2023), le président du Tribunal s’est concentré sur celle-ci relative à l’urgence, en écartant les arguments de la requérante pour deux raisons principales.

En premier lieu, le président a examiné la nature du préjudice que la requérante a fait valoir (points 29-38 ordonnance R1). D’une part, il a considéré que ledit préjudice était hypothétique (points 29-32 ordonnance R1), dans la mesure où l’adoption d’une sanction à l’encontre de Vivendi n’était pas automatique étant liée au large pouvoir discrétionnaire de la Commission. D’autre part, il a estimé que ce préjudice n’était que d’ordre financier et, partant, il était couvert par la présomption d’être réparable (cela étant un élément constant dans la jurisprudence du juge des référés, voyez les affaires C-390/13 P(R), EMA v. Intermune UK et al., et T-95/09 R, United Phosphorus v. Commission).

En second lieu, le président du Tribunal a examiné l’argument de la requérante selon lequel se conformer à la décision litigieuse aurait signifié collecter des documents relevant de la vie privée de ses salariés et mandataires, cela constituant la violation de plusieurs droits fondamentaux (points 43-50 ordonnance R1). Le président du Tribunal a rejeté cet argument, en jugeant que la décision litigieuse contenait des garanties procédurales suffisantes pour en déduire que tels documents auraient reçu un traitement approprié et conforme au respect des droits fondamentaux (points 45-50 ordonnance R1).

Sur la base de ces considérations, le juge du référé a conclu que le préjudice invoqué par la requérante ne pouvait pas être considéré comme étant grave et irréparable et, donc, il a rejeté la demande en référé.

4.L’ordonnance R1 a été attaquée par la requérante dans une procédure en pourvoi (affaire C-90/24 P(R), Vivendi c. Commission). Tout d’abord, il convient de rappeler que la requérante a introduit une demande en référé supplémentaire même dans le cadre de ce pourvoi, visant l’adoption d’une ordonnance inaudita altera parte fondée sur l’article 160, septième paragraphe, du règlement de procédure de la Cour (ci-dessous « RPCJ »). Cette demande a été accueillie le 6 février 2024. L’ordonnance inaudita altera parte a été confirmée dans l’ordonnance P1, dans laquelle le vice-président de la Cour a individué des erreurs de droit dans l’ordonnance R1.

En particulier, le juge des référés de la Cour, dans ses fonctions du juge du pourvoi, a examiné le raisonnement du Tribunal relatif à la protection des données personnelles des salariés et mandataires de la requérante, et sur le risque de préjudice affectant cette dernière en raison de la décision litigieuse adoptée par la Commission (points 31-54 ordonnance P1). En ce qui concerne le champ d’application du règlement général sur la protection des données (ci-dessous « RGPD »), le vice-président de la Cour a estimé que les garanties mises en place par la Commission n’étaient pas en mesure de s’appliquer à la totalité des données faisant l’objet de la demande de renseignements (points 37-40 ordonnance P1). Ainsi, le juge du pourvoi a considéré que le président du Tribunal avait commis deux erreurs, l’une étant une erreur manifeste d’appréciation – en concluant que les garanties procédurales de la Commission étaient suffisantes pour éviter tout risque de violation des droits fondamentaux des personnes concernées (point 41 ordonnance P1) – et l’autre étant une erreur dans la qualification juridique des faits – en estimant que le secret professionnel liant tout fonctionnaire de la Commission était en mesure de garantir le même résultat (point 48 ordonnance P1).

D’un point de vue procédurale, aux fins de la présente contribution, l’aspect le plus intéressant de l’ordonnance P1 concerne la relation entre les profils qui ont fait l’objet de la cassation du juge du pourvoi et ceux qui ont, en revanche, été renvoyés au juge des référés du Tribunal. En effet, en se fondant sur les considérations rappelées ci-dessus, le vice-président de la Cour s’est (apparemment) limité à contrôler l’examen de la seule condition relative à l’urgence, faite per le juge du référé en première instance : dès lors, c’est exclusivement à l’égard de cette condition que l’ordonnance R1 a été annulée. Toutefois, dans ce cadre, le juge du pourvoi a admis que certains éléments faits valoir par la Commission dans ses écritures étaient en mesure de « présenter une pertinence aux fins de l’appréciation de la légalité de la décision litigieuse et, partant, de l’examen de la condition relative au fumus boni juris » (point 103 ordonnance P1). Néanmoins, lesdits éléments « ne sauraient être pris en considération dans le cadre de l’examen de la condition relative à l’urgence » (point 104 ordonnance P1). En vue du renvoi du litige en première instance pour qu’une décision définitive sur la procédure en référé soit adoptée, néanmoins, le vice-président de la Cour a statué que le juge des référés du Tribunal devait « postuler, aux seuls fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence et sans que cela implique quelconque prise de position de sa part quant au [fumus boni juris], que [les griefs avancés par la requérante étaient] susceptibles d’être accueillis » (point 105 ordonnance P1, c’est nous qui soulignons) et, encore plus résolument, que « l’appréciation de la condition relative à l’urgence [devait] être menée en postulant que la décision litigieuse [était] illégale » (point 106 ordonnance P1, c’est nous qui soulignons). Par conséquent, le juge du pourvoi, d’une part, a annulé l’ordonnance R1 quant aux profils relatifs à l’urgence et, d’autre part, a lui-même jugé que ladite condition était remplie. Ensuite, il a renvoyé l’affaire au juge des référés du Tribunal pour ce qui concernait l’examen des conditions relatives au fumus boni juris et à la mise en balance des intérêts en jeu.

Or, deux ordres de considérations s’imposent face au raisonnement qui vient d’être résumé.

Premièrement, le vice-président de la Cour a été plutôt sévère en jugeant que l’ordonnance R1 contenait une erreur manifeste d’appréciation et une qualification juridique erronée des faits, compte tenu de la circonstance que ces deux cas d’annulation sont exceptionnels dans la jurisprudence de la Cour en matière de pourvois. En effet, l’article 256, premier paragraphe, TFUE et l’article 58 du Statut codifient le principe général selon lequel, dans la procédure de pourvoi, la Cour n’est habilitée à exercer son contrôle que sur des questions de droit, la dimension factuelle des litiges relevant du domaine de compétence exclusive du Tribunal. Dans ce contexte, l’erreur manifeste d’appréciation et la qualification juridique erronée des faits jouent le rôle d’exceptions que la Cour peut utiliser pour contrôler l’appréciation de ladite dimension factuelle, soit en vertu de la nature manifeste et incontestable de l’erreur, soit en vue de corriger l’application faite par le Tribunal d’une règle juridique aux faits. Il s’ensuit que ces cas exceptionnels doivent être interprétés et appliqués restrictivement, dans la mesure où ils représentent des hypothèses limites dans le cadre de l’exercice, par la Cour, de son rôle de juge du pourvoi. Il s’agit d’une opération « délicate », dans la mesure où, quand il siège en tant que juge du référé, le président du Tribunal garantit une protection juridictionnelle fondée sur des évaluations de nature temporaire, liées au moment spécifique auquel lesdites évaluations sont effectuées, mais aussi directes à un résultat nécessairement prédictif et hypothétique. L’annulation d’une ordonnance en vertu du fait que des considérations provisoires et prédictives auraient été manifestement erronées dans l’appréciation des faits ou auraient mal-qualifié ces derniers, exprime la volonté du vice-président de la Cour d’explorer davantage son mandat en tant que juge du pourvoi, en poussant son rôle (délimité quand même) de contrôleur sur des appréciations du président du Tribunal.

En outre, bien qu’il n’ait examiné que la condition relative à l’urgence, le vice-président de la Cour a effectué des évaluations susceptibles d’affecter la substance de l’affaire – notamment au regard des considérations concernant le fumus boni juris. Si, d’une part, le juge du pourvoi a reconnu l’existence d’éléments pour la légalité de la décision litigieuse de la Commission, il a affirmé, d’autre part, que lesdits éléments ne concernaient que l’examen du fumus boni juris, de sorte qu’ils étaient exclus du contrôle relatif à l’urgence. En conséquence, il a indiqué que le juge de première instance, « aux seuls fins » de l’appréciation de la condition de l’urgence, était tenu à écarter les éléments en question, en se fondant sur une présomption d’illégalité de la décision litigieuse. Cependant, il demeure évident que cette indication est allée bien plus loin, précisément en raison des interrelations procédurales entre le pourvoi et le référé. En appuyant sa conclusion que le critère de l’urgence était satisfait sur une présomption d’illégalité de la décision litigieuse, le vice-président de la Cour a adressé, dans une certaine mesure, l’appréciation effectuée par le juges des référés du Tribunal quant à la condition du fumus boni juris, qui repose exactement sur l’appréciation provisoire de la légalité de la décision. Autrement dit, quel que soit le caveat sur le champ d’application de cette présomption, il apparaît difficile que la décision litigieuse pouvait être considérée comme étant illégale aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence, et comme ne l’étant pas par rapport à celle relative au fumus boni juris.

5.Sans surprise, dans la procédure de renvoi, le vice-président du Tribunal s’est aligné sur les considérations du juge du pourvoi. Dans l’ordonnance R2, le vice-président du Tribunal a examiné, comme demandé par la Cour, la condition du fumus boni juris. En menant cet examen, le vice-président du Tribunal en sa qualité de juge du référé a, à plusieurs reprises, fait référence à des points de l’ordonnance P1 relatifs à l’urgence, rappelant, par exemple, que « le vice-président de la Cour a considéré […] que l’exécution de la décision [litigieuse] serait de nature à entraîner une grave ingérence dans la vie privée des personnes concernées » (point 42 ordonnance R2), ou que « ainsi que l’a relevé le vice-président de la Cour, la décision [litigieuse] ne comporte aucun mécanisme destiné à prévenir […] la collecte et la transmission à la Commission de documents se rattachant à la vie privée des personnes concernées » (point 56 ordonnance R2), de sorte qu’ « il ne saurait donc être exclu que la décision [litigieuse] excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général qu’elle poursuit » (point 57 ordonnance R2). Il est plutôt évident que le niveau de chevauchement entre les éléments justifiant le fumus boni juris et ceux-ci fondant la condition relative à l’urgence était significatif, en raison du traitement procédural réservé par le vice-président de la Cour à ces conditions dans l’ordonnance P1.

Si, d’une part, le vice-président du Tribunal a reconnu (rectius, il a dû, en substance, reconnaître) l’existence du fumus boni juris et d’une situation d’urgence, d’autre part il a mené un examen très attentif en ce qui concernait la mise en balance des intérêts en jeu, de sorte qu’il n’a accepté que partiellement la demande de la requérante. Le vice-président du Tribunal a donc sursis à l’exécution de la décision litigieuse et il a ordonné à Vivendi et à la Commission de conserver les documents en question, mais uniquement dans la mesure où ces derniers étaient de nature à impacter sur des données « relevant de la vie privée des personnes concernées ».

6.L’ordonnance R2 a fait l’objet, d’une part, d’une demande d’interprétation et, d’autre part, d’un pourvoi devant le vice-président de la Cour.

Quant à la demande d’interprétation, dans l’ordonnance INTP, le vice-président du Tribunal était confronté à la portée de sa décision de surseoir à l’exécution qu’il avait ordonnée à l’encontre de la décision litigieuse dans l’ordonnance R2. La requérante soutenait que le dispositif de ladite ordonnance était à être interprété dans le sens que la totalité des effets juridiques de la décision litigieuse de la Commission était suspendue (et donc la totalité des documents et données relevant de l’acquisition de Lagardère pouvaient être retenus par Vivendi). Le vice-président du Tribunal a clarifié que « la portée [du sursis] devait être limitée à l’hypothèse dans laquelle la décision [litigieuse] impose la fourniture de documents contenant des données relevant de la vie privée des personnes concernées » (point 14 ordonnance INTP) et que l’interprétation avancée par la requérante ne pouvait pas être retenue. Le vice-président a ensuite considéré que « sous couvert de soulever une difficulté relative au sens de l’ordonnance du 13 juin 2024, la requérante tend en réalité […] à remettre en cause les conséquences du dispositif de ladite ordonnance », cela étant contraire à l’article 43 du Statut et à l’article 168, première paragraphe, RPT et menant, en conclusion, à l’irrecevabilité de la demande d’interprétation dans son intégralité.

Quant au pourvoi, il convient de mettre en exergue que le vice-président de la Cour l’a rejeté, en partie, comme étant irrecevable et, en partie, comme inopérant. Dans l’ordonnance P2, le juge du pourvoi a examiné deux points distincts du dispositif de l’ordonnance R2.

En premier lieu, le vice-président de la Cour a considéré que la partie du dispositif concernant le sursis à l’exécution de la décision litigieuse avait, en substance, « fait partiellement droit aux conclusions de la demande en référé introduite devant le Tribunal » (point 22 ordonnance P2). Le vice-président de la Cour en a conclu que « l’annulation des points [correspondants] du dispositif de l’ordonnance attaquée ne serait de nature à procurer un bénéfice à Vivendi et […], en conséquence, le pourvoi [devait] être déclaré irrecevable en tant qu’il vis[ait] à obtenir l’annulation de ces points » (point 23 ordonnance P2). En second lieu, eu regard à la partie du dispositif concernant la conservation de certains documents, le vice-président de la Cour a considéré le pourvoi recevable vu que le Tribunal avait imposé même à Vivendi « une injonction qui differ[ait] pour partie de celle qu’elle avait formulé dans ses conclusions ». Cependant, le juge du pourvoi a pu relever que les bénéfices recherchés par Vivendi en contestant l’imposition de ladite injonction se fondaient sur une précise balance des intérêts en jeu. Spécifiquement, dans le raisonnement du juge des référés du Tribunal en « première instance », l’intérêt de Vivendi ne pouvait s’imposer sur celui-ci défendu par la Commission qu’en vue de l’objectif d’éviter des intrusions disproportionnées dans la vie privée des salariés et mandataires de la requérante. Compte tenu qu’aucun des moyens à l’appui du pourvoi soulevés par Vivendi ne contestait cette balance, le vice-président de la Cour a jugé que l’intérêt à contester cette partie de l’ordonnance R2 n’était pas satisfaite en l’espèce. Partant, il a rejeté comme inopérant cette partie du pourvoi.

Les considérations les plus intéressantes découlent, évidemment, de la partie du pourvoi qui a été rejetée comme étant irrecevable. Sur ces points, en effet, la procédure en pourvoi devant le vice-président de la Cour s’est chevauchée (au moins partiellement) à la demande d’interprétation devant le vice-président du Tribunal. Si, d’une part, le vice-président du Tribunal avait jugé que le sursis à l’exécution de la décision litigieuse n’était applicable qu’aux seuls documents relevant de la vie privée des personnes concernées et que, partant, il n’y avait aucune difficulté d’interprétation, d’autre part, le vice-président de la Cour a estimé que le même sursis à l’exécution avait en substance fait droit aux conclusions de la requérante, de sorte qu’elle ne pouvait pas démontrer un intérêt à attaquer l’ordonnance R2. Sur cet aspect, les raisonnements des juges des référés des deux juridictions ne semblent donc pas coïncider. L’interprétation fournie par le vice-président du Tribunal dans l’ordonnance INTP semble impliquer que les conclusions de Vivendi dans la procédure en référé avaient été, au moins d’une façon partielle, rejetées, ce qu’aurait pu conduire à l’existence d’un intérêt procédurale à attaquer cette ordonnance devant le juge des référés de la Cour. Au contraire, dans l’ordonnance P2, le vice-président de la Cour, ayant estimé qu’aucun bénéfice ne pouvait découler d’un tel pourvoi, a partiellement contredit et surmonté l’argument du Tribunal du point de vue procédurale, tout en parvenant au même résultat substantiel – le refus d’accorder satisfaction à la demande de Vivendi.

7.L’affaire Vivendi – qui a bien pris les contours d’une véritable saga, pour longueur et complexité – nous a offert quelques éléments de réflexion à l’égard des interrelations entre différents mécanismes procéduraux et, au même temps, sur le croisement entre procédure et substance dans le contentieux devant les juges du Kirchberg.

Une première partie de cette contribution a mis en évidence que l’utilisation des règles de procédure est bien évidemment susceptible de produire des effets de « spill-over » sur d’autres voies de recours, étant donné que le cadre factuel de l’affaire concernée est le même. L’analyse s’étant focalisée sur l’impact du premier pourvoi sur la procédure en référé devant le Tribunal, nous avons pu expliquer que le vice-président de la Cour a déterminé la condition relative à l’urgence en impliquant une présomption d’illégalité de la décision litigieuse. En faisant cela, le vice-président de la Cour a fait application de l’article 61 du Statut, c’est-à-dire qu’il a abandonné le rôle du juge du pourvoi et statué sur les éléments susmentionnés en tant que juge en première instance lui-même. Avec cette démarche, il a évidemment adressé l’examen du fumus boni juris par le juge des référés du Tribunal, dans la procédure de renvoi. Il en découle de manière très claire que le traitement substantiel du référé par ce dernier a été influencé par l’approche du vice-président de la Cour qui, en examinant la condition relative à l’urgence a, en substance, offert un schéma pour le raisonnement à effectuer dans le cadre de la condition relative au fumus boni iuris.

La seconde partie de la contribution a mis en exergue l’existence de chevauchements entre procédures différentes mais simultanées, ce qui pose évidemment le risque d’une contradiction ou, au moins, d’une asymétrie entre les résultats respectifs. En l’espèce, une telle contradiction ne s’est pas réalisée, mais il n’en reste pas moins qu’un traitement partiellement incohérent d’une affaire à cause des différents mécanismes procéduraux n’est pas un résultat souhaitable.

A la lumière des considérations avancées dans la présente contribution, il est possible de conclure que le déroulement de la procédure n’est pas du tout un aspect secondaire ou marginal dans le développement et la consolidation de la jurisprudence de la CJUE, aussi tant qu’il est susceptible de produire des effets importants sur les appréciations substantielles. Tout cela est encore plus évident si l’on insère dans le contexte du référé, étant donné que ce type de protection juridictionnelle est basée, par sa nature, sur des considérations temporaires, prédictives et susceptibles d’être renversées dans l’exercice de balance entre protection efficace et sécurité juridique, qui est toujours au cœur du mandat du juge de l’Union.

Enfin, sans trop s’éloigner de la perspective éminemment procédural de la présente contribution, l’affaire Vivendi, qui a fait l’objet de ce commentaire, semble tendre à un allègement des conditions pour l’octroi de la mesure demandé dans le cadre  d’une référé (en général, sur l’assouplissement des conditions pour l’octroi d’une mesure provisoire devant le juge de l’Union, voyez l’analyse de la jurisprudence proposée par M. F. Orzan, 2023). En ce qui concerne l’urgence, elle a été considérée comme prouvée en vue de l’insuffisance des garanties offertes par la Commission dans un domaine si délicat comme la protection des données à caractère personnels, postulant l’illégalité de la décision litigieuse aux fins de ces conclusions. En ce qui concerne le fumus boni juris, cette condition semble maintenant être liée, même si indirectement, à la condition de l’urgence, qui se fonde sur la présomption d’illégalité qu’on vient de rappeler. Finalement, en ce qui concerne la mise en balance des intérêts en jeu, cette condition aussi se caractérise pour une présomption favorable au requérant. En effet, l’examen conduit de cette condition par le vice-président du Tribunal exprime l’idée que l’intérêt du particulier à la protection de données personnelles à lui propres doit s’imposer sur les intérêts publics défendus par la Commission. Cela rend, donc, moins onéreuse la charge de la preuve requise à un requérant pour obtenir au stade du référé une protection provisoire devant les juges de l’Union. Ainsi, en matière de protection des données personnelles, un régime spécial, plus favorable aux demandeurs de protection provisoire, serait en train de s’établir.