The legal representation regime (again) to the test of the “filtering” mechanism on appeals, between the need for coherence and procedural coordination

ECJ, January 30th 2024, case C-580/22 P, bonnanwalt v. EUIPO

Lo ius postulandi (di nuovo) alla prova del meccanismo di “filtraggio” delle impugnazioni, tra esigenze di coerenza e coordinamento processuale

Le ius postulandi (de nouveau) face au mécanisme de “filtrage” des pourvois, entre exigences de cohérence et coordination procédurale

Au début de cette année, la Cour s’est prononcée, en tant que juge du pourvoi, sur l’affaire C-580/22 P, bonnanwalt c. EUIPO, dans laquelle elle a annulé l’ordonnance adoptée par le Tribunal en première instance. Cette affaire, qui n’a eu qu’un très faible écho, apparaît en réalité extrêmement intéressante, essentiellement pour deux ordres de raisons. D’une part, il s’agit du premier pourvoi qui a été clôturé par la Cour à l’issue du mécanisme de « filtrage » introduit en 2019 et aujourd’hui visé à l’article 58 bis du Statut. D’autre part, pour la deuxième fois, la Cour a admis un pourvoi ayant pour objet une question concernant le ius postulandi, c’est-à-dire le pouvoir d’un avocat de représenter son client devant la CJUE elle-même.

L’affaire en question a vu se confronter, devant le Tribunal, la société allemande « bonnanwalt », en tant que requérante, et l’EUIPO. Avec ses décisions (la plus importante en vue de la présente affaire étant celle de la deuxième chambre de recours), l’EUIPO avait, en substance, rejeté partiellement une demande en déchéance d’une marque, soumise par la requérante au motif du manque d’usage sérieux pendant plus de cinq ans (tel que prévu dans l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001). La requérante avait donc introduit un recours visant à obtenir l’annulation de la décision de la chambre de recours, qui a toutefois été rejeté comme étant irrecevable par le Tribunal, en accueillant l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’EUIPO. Plus précisément, le Tribunal a considéré que : i) le gérant de bonnanwalt était également le directeur du cabinet d’avocats mandaté pour la représenter dans l’affaire en question ; ii) l’avocat concrètement chargé de la défense de bonnanwalt était le seul collaborateur salarié dudit cabinet d’avocats. Sur cette base, le Tribunal a considéré qu’il existait un risque de confusion d’intérêts entre la requérante et son représentant légal et, cela étant contraire à l’article 19 du Statut et à l’article 51, paragraphe 1, du son règlement de procédure, il a rejeté le recours comme irrecevable.

Dans le cadre du pourvoi, la Cour a établi que le raisonnement du Tribunal était entaché d’une erreur d’interprétation à l’égard de la présomption d’indépendance des avocats au sens du droit de l’Union et que, partant, il n’était pas en mesure d’être confirmé. Plus précisément – en s’appuyant surtout sur deux précédents plutôt récents, l’affaire Kirimova c. EUIPO et l’affaire PJ et PC c. EUIPO – la Cour a considéré que le droit de l’Union (à savoir, l’article 19, troisième et quatrième alinéa, du Statut) met en place une présomption selon laquelle le représentant légale d’une partie agit, en principe, dans l’absence d’un contrôle effectif du client sur ses choix et ses intérêts (points 45-49 et point 53 de l’arrêt). Or, face à cette présomption, les juges du pourvoi ont suivi une approche pas du tout formelle, qui se développe en trois passages essentiels. En premier lieu, selon la Cour, l’absence d’une position d’indépendance de l’avocat à l’égard de son client ne peut être déduite que « de liens portant manifestement atteinte à la capacité de l’avocat à assurer sa mission » (point 51), ce qui exige ainsi une évaluation concrète et spécifique (points 50-52). En deuxième lieu, dans le cadre de ladite évaluation, il faut bien établir une différence fondamentale concernant la nature du client (points 54-55), en ce sens que l’appréciation dirigée à renverses la présomption d’indépendance sera plus stricte lorsque le client, lié par un rapport direct à l’avocat, est une personne physique (par exemple, c’est le cas où un avocat salarié doit représenter le directeur du même cabinet, qui figure donc comme son employeur direct). La Cour semble avoir identifié ce point comme décisif pour l’affaire en question : elle a considéré que le Tribunal, dans l’ordonnance attaquée, a effectué une interprétation erronée de cette distinction, lorsqu’il a traité le cas d’espèce – où le client est une personne morale distincte, bien que gérée par le même sujet qui dirige le cabinet d’avocats mandaté de sa défense – comme si le client, lui-même, était une personne physique (points 57-60). En troisième lieu, la Cour a précisé que, dans des conditions comme celles du cas d’espèce, la présomption d’indépendance du représentant légal par rapport à la société qu’il est chargé de défendre ne peut être renversée par la seule existence de ce lien (comme le Tribunal l’avait soutenu), mais implique des éléments précis et sérieux qui portent un risque manifeste de contrôle effectif sur l’avocat – l’absence desquels, dans l’affaire en question, justifie l’annulation de l’ordonnance attaquée (points 61-63).

L’affaire qui fait l’objet de ce commentaire relève, d’un côté, du point de vue de l’encadrement normatif de la qualification des avocats devant la CJUE et, de l’autre côté, du point de vue de l’application du mécanisme de « filtrage » des pourvois.

En ce qui concerne, en premier lieu, le ius postulandi, il convient de rappeler que cet institut procédural repose sur une vision jurisprudentielle bien-établie, selon laquelle l’indépendance de l’avocat est fonctionnelle au rôle de ce dernier en tant que « collaborateur de la justice […] appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin » (la citation se réfère à l’affaire 155/79, AM & S c. Commission, point 24, mais on retrouve le même principe, par exemple, dans les affaires T-445/04, ET c. OHMI, point 8, et T-40/08, EREF c. Commission, point 26). Un avocat n’est donc pas seulement une figure privée et connectée au client, mais il satisfait aussi une fonction publique, en contribuant à une bonne administration de la justice (du même avis la doctrine ; voir, par exemple, E. Gambaro, 2018  et K. Lenaerts, I. Maselis, K. Gutman, 2023). Force est de constater que, sur cette base, le Tribunal a toujours maintenu une approche rigoureuse à l’encontre des cas où le représentant légal d’une partie était également le directeur ou le chef d’entreprise de la partie elle-même, lorsqu’il ne reconnaît pas, en principe, les caractères nécessaires à l’indépendance de l’avocat visée dans le Statut et le règlement de procédure (voir, par exemple, T-79/99, Euro-Lex c. OHMI, points 23-31 ; T-184/04, Sulvida c. Commission, points 9-11 ; T-226/10, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej c. Commission, points 17-21). Plus loin encore, ladite approche s’est étendue également jusqu’à l’irrecevabilité des cas où cette identité subjective n’est pas directe, mais se réalise grâce à des liens entre personnes morales associées dans quelques mesures, bien que distinctes (voir l’ordonnance adoptée dans l’affaire T-243/11, Glaxo Group c. OHMI, points 13-20, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi). Or, face à cette approche du Tribunal, l’arrêt de la Cour dans l’affaire bonnanwalt présente une saveur douce-amère : s’il est certainement positif d’avoir affirmé que les circonstances renversant la présomption d’indépendance des avocats doivent faire l’objet d’une évaluation concrète et reliée au cas d’espèce, il est à tout le moins originale d’avoir considéré qu’aucun risque ne peut exister, en l’espèce, pour le seule fait que le gérant de la société requérante n’était pas, lui-même, son avocat, mais il était l’employeur de l’avocat. Cette approche de la Cour semble se poser, donc, dans une position de discontinuité partielle au regard de la jurisprudence bien établie du Tribunal et va générer, probablement, la nécessité d’autres éclaircissements afin de reconduire à cohérence les deux juridictions.

En ce qui concerne, en second lieu, le mécanisme de « filtrage » visé à l’article 58 bis du Statut, la présente affaire est significative, tout d’abord, étant donné qu’il s’agit du premier arrêt clôturant une des sept affaires qui ont passé le « filtre » à ce jour (le deuxième étant celui dans l’affaire KaiKai Company, déjà citée, qui toutefois a été prononcé presque un mois plus tard). Deux remarques méritent d’être soulevés à ce propos.

Premièrement, il faut dédier quelques réflexions au fait que, bien qu’elle ait dépassé le « filtre » aux pourvois, la présente affaire n’a été jugée que par une chambre à trois juges. Comme on le sait, l’article 58 bis du Statut conditionne l’admissibilité d’un pourvoi à sa capacité de soulever une « question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union » ; en substance, l’admissibilité du pourvoi implique une reconnaissance de très haute relevance, au moins potentielle, de l’affaire soumise à l’attention des juges. De l’autre côté, en ce qui concerne l’attribution des affaires aux formations jugeant, l’article 60 du règlement de procédure de la Cour établit que cette dernière se prononce en grande chambre quand « la difficulté ou l’importance de l’affaire ou des circonstances particulières [le] requièrent ». Il en demeure, de manière plutôt évidente, un besoin de coordination entre les conditions qui fondent l’application de ces deux mécanismes procéduraux : si un pourvoi a été considéré assez important pour dépasser un « filtre » autant strict, cette même importance ne justifierait pas, elle aussi, le recours à la grande chambre ? Certes, le « filtre » aux pourvois et l’attribution d’une affaire à la grande chambre se fondent sur des conditions différentes et ils interviennent dans deux phases différentes de la procédure. Un pourvoi qui apparaît avoir les éléments suffisants pour être admis aux fins de l’article 58 bis, donc, pourrait s’avérer a posteriori pas aussi important pour être attribué à une grande chambre. Toutefois, force est de constater que la connaissance de l’affaire qui fonde l’attribution à une chambre à trois, cinq ou quinze juges est, à peu près, la même qui a permis le passage du « filtre » ; en plus, une bonne coordination entre ces deux passages procéduraux satisferait d’une meilleure façon une règle générale de cohérence. Donc, de deux choses l’une : soit il faut admettre que le seuil de « importance » aux fins de l’article 58 bis du Statut est plus bas que celui visé par l’article 60 du règlement de procédure (ce qui semble, cependant, une interprétation injustifiée), soit il faudrait que la Cour, pour l’avenir, s’oriente vers une attribution bien plus systématique à la grande chambre des pourvois qui ont dépassé le « filtre » – fournissant une motivation adéquate dans les cas où elle fait un choix différent.

Secondement, et en tant que note conclusive du présent commentaire, il est opportun de souligner que l’affaire bonnanwalt représente, à ce stade, le deuxième cas de dépassement du mécanisme de « filtrage » sur la base des questions reliées à la représentation légale des parties. En effet, dans l’affaire C-776/22 P, Studio Legale Ughi e Nunziante, la Cour a également été appelée à statuer sur les conditions d’indépendance des avocats devant les juridictions de Luxembourg, en se focalisant surtout sur les liens entre les avocats mandatés et leurs cabinets (à la lumière du droit italien) et sur la possibilité de régularisation, devant le Tribunal, d’une partie qui n’était pas dûment représentée. On commence par ailleurs à apercevoir une ligne jurisprudentielle – deux affaires sur un total de sept admises selon les conditions de l’article 58 bis – par laquelle la Cour considère que les questions « relative[s] à l’application de l’article 19 […] du [S]tatut […] ainsi que de l’article 51 du règlement de procédure du Tribunal » sont susceptibles d’avoir « des retombées allant bien au-delà du cas d’espèce » (point 26 de Studio Legale Ughi e Nunziante), compte tenu de leur aptitude à fournir « des indications en matière de représentation du client et, partant, de recevabilité des recours » (point 18 de bonnanwalt) et à produire un impact « concern[ant] tout type de contentieux […] devant le Tribunal » (point 29 de Studio Legale Ughi e Nunziante et point 21 de bonnanwalt). C’est précisément dans cet impact que la Cour retrouve la dimension horizontale et transversale qu’elle exige afin d’établir l’admissibilité d’un pourvoi, et qu’elle a identifié, d’autres fois, dans les rapports entre l’ordre juridique de l’Union et des normes « extérieurs » (C-382/21 P, KaiKai Company Jaeger Wichmann), dans les effets des phénomènes presque constitutionnels sur certaines positions juridiques individuelles (C-801/21 P, Indo European Foods ; C-337/22 P, Nowhere ; C-751/22 P, Shopify) ou dans le type de contrôle que le Tribunal est appelé à exercer sur les chambres de recours des agences (C-93/23 P, Neoperl). Cette attention de la Cour aux questions concernant la représentation légale des parties, si elle va se renforcer pour l’avenir, pourrait devenir extrêmement significative face aux cadres normatifs des chambres de recours auxquelles l’article 58 bis s’applique (surtout à la lumière des plus récentes réformes du mécanisme, sur lesquelles aussi L. De Lucia, 2024 et le résumé dans cette même Revue). Ces dernières, en effet, sont généralement orientées vers une approche moins rigoureuse, qui n’oblige pas les parties à choisir un représentant légal. Les parties sont donc libres d’introduire une demande devant la chambre de recours en se représentant par elles-mêmes (comme le démontrent les règlement de procédure de ECHA, EASA, ACER, ERA, du SRB et des ESAs) et, dans certains cas, une personne morale peut même confier sa défense à des employés ou à des sujets autrement liés à la société requérante (par exemple, dans les règlements de procédure de l’EUIPO et de CPVO qui sont, par ailleurs, responsables de la totalité des pourvois qui ont vu s’appliquer le « filtre » à ce jour). Il est vrai, d’un côté, que la jurisprudence de la Cour concerne uniquement la procédure devant le juge de l’Union : les parties ne sont donc pas obligées à se faire représenter dans la procédure devant les chambres de recours, à condition qu’elles se dotent d’un avocat satisfaisant toute condition d’indépendance une fois que leur recours parvient au Tribunal. Cependant, de l’autre côté, la jurisprudence du juge de l’Union pourrait suggérer aux parties d’adopter des solutions différentes déjà devant les chambres de recours et, si cette discipline reste un des rares cas de dépassement du « filtre » des pourvois, elle pourrait également encourager une harmonisation des règlements de procédures des chambres de recours elles-mêmes avec celui du Tribunal : ce qui, toutefois, pourrait se révéler une opération relativement complexe.