Le Tribunal clarifie le statut de l’intervenant dans le contentieux en matière de la propriété intellectuelle

Tribunal, ordonnance du 8 février 2024, affaire T-30/23, Fly Persia et Barmodeh c. EUIPO – Dubai Aviation (flyPersia)

Il Tribunale chiarisce lo status degli intervenienti nelle controversie in materia di proprietà intellettuale

The General Court clarifies the status of interveners in intellectual property litigation

Les opinions exprimées dans cette contribution sont le résultat exclusif de la réflexion de son auteure et n’engagent en rien la Cour de justice de l’Union européenne.

 

L’affaire Fly Persia et Barmodeh c. EUIPO – Dubai Aviation (flyPersia), T‑30/23, dans le cadre de laquelle le Tribunal a adopté l’ordonnance du 8 février 2024 relative au statut de Dubai Aviation dans la procédure pendante devant lui, concerne une procédure d’opposition entre les requérantes, ayant demandé l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO, et Dubai Aviation qui s’était opposée à cet enregistrement. L’opposition de Dubai Aviation a été partiellement accueillie par la division d’opposition. Le recours formé par les requérantes contre cette décision a été rejeté par la chambre de recours de l’EUIPO. Les requérantes demandent au Tribunal d’annuler cette dernière décision.

La requête a été signifiée à Dubai Aviation en tant que partie à la procédure devant la chambre de recours autre que les requérantes, conformément à l’article 178 du règlement de procédure du Tribunal.

Le statut devant le Tribunal d’une telle partie est régi par l’article 173 du règlement de procédure, relevant du quatrième titre de ce règlement concernant le contentieux relatif aux droits de la propriété intellectuelle. Plus particulièrement, le paragraphe 3 dudit article confère aux parties à la procédure devant la chambre de recours, autres que le requérant, une position procédurale équivalente à celle des parties principales. Par ailleurs, en vertu de l’article 173, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant peut participer à la procédure devant le Tribunal en tant qu’intervenant en répondant à la requête dans les formes et délais prescrits.

Dubai Aviation n’a pas répondu à la requête dans le délai préscrit,  à savoir dans un délai de deux mois à compter de sa signification, prévu à l’article 179 du règlement de procédure, augmenté d’un délai de dix jours, en application de l’article 60 de ce règlement. Elle n’a pas invoqué l’existence de circonstances exceptionnelles qui seraient constitutives d’un cas fortuit ou de force majeure au sens de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

Par conséquent, dans l’ordonnance du 8 février 2024, le Tribunal constate tout d’abord que Dubai Aviation n’est pas devenue partie à la procédure devant le Tribunal en tant qu’intervenante conformément à l’article 173, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure (sur cette disposition du règlement de procédure voir G. Bertoli, Article 173 RP Trib, in C. Amalfitano, M. Condinanzi, M. Iannuccelli (eds), Le regole del processo dinanzi al giudice dell’Unione Europea, Napoli, 2017, p. 1474. Voir également K. Lenaerts, I. Maselis, K. Gutman, EU Procedural Law, Oxford, 2015, p. 833).

Le Tribunal examine ensuite la possibilité, pour Dubai Aviation, d’être admise à intervenir dans la procédure en vertu des articles 142 à 145 du règlement de procédure relevant de son troisième titre relatif aux recours directs (sur les articles 142-145 du règlement de procédure du Tribunal, voir F. Pili, Articles 142-145, in C. Amalfitano, M. Condinanzi, M. Iannuccelli (eds), Le regole del processo dinanzi al giudice dell’Unione Europea, cit., p. 1288. Voir également M. Condinanzi, R. Mastroianni, Il contenzioso dell’Unione Europea, Torino, 2009, p. 380; K. Lenaerts, I. Maselis, K. Gutman, EU Procedural Law, Oxford, 2015, p. 824).

Le Tribunal avait déjà examiné une question similaire dans l’ordonnance du 18 septembre 2019,  Glimarpol c. EUIPO – Metar (Outils pneumatiques) par laquelle il a admis la possibilité pour une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant, ayant perdu son statut d’intervenant dans le cadre de la procédure devant le Tribunal en raison du dépassement du délai pour le dépôt du mémoire en réponse, d’être admis à intervenir en vertu des articles 142 à 145 du règlement de procédure. À cet égard, le Tribunal avait indiqué que la circonstance qu’une partie à la procédure devant la chambre de recours ait perdu la possibilité d’exercer ses droits procéduraux renforcés conformément aux dispositions de l’article 173 du règlement de procédure n’excluait pas qu’elle puisse être admise à intervenir en vertu des dispositions combinées de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et des articles 142 à 145 de ce règlement dans la mesure où cette partie justifiait d’un intérêt à la solution du litige. Pour soutenir cette solution, le Tribunal s’était appuyé sur le fait que les droits procéduraux dont dispose un intervenant au titre des articles 142 à 145 du règlement de procédure étaient plus limités que ceux prévus à l’article 173, paragraphe 3, de ce dernier et que, s’agissant de deux régimes d’intervention différents, l’application à l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours des articles 142 à 145 du règlement de procédure n’était donc pas constitutive d’un contournement du délai prévu à l’article 179 de ce règlement.

Dans l’ordonnance du 8 février 2024, en statuant en formation élargie, le Tribunal adopte une approche opposée et juge que le régime d’intervention prévu aux articles 142 à 145 du règlement de procédure ne s’applique pas à l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours qui, eu égard à l’article 173, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, n’est pas devenue partie à la procédure devant le Tribunal.

À cet égard, le Tribunal rappelle que le régime prévu au quatrième titre du règlement de procédure concernant le contentieux relatif aux droits de la propriété intellectuelle, est une expression du principe lex specialis derogat lex generali. En effet, conformément à l’article 191 du règlement de procédure, les dispositions du troisième titre de ce règlement sont applicables aux procédures visées au quatrième titre « sous réserve des dispositions particulières du quatrième titre ». Or, dans la mesure où le quatrième titre du règlement de procédure prévoit les règles spécifiques concernant l’intervention devant le Tribunal d’une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant, les articles 142 à 145 du règlement de procédure relevant de son troisième titre ne sont pas applicables s’agissant de cette partie.

Par conséquent, le Tribunal exclut que, après avoir perdu la possibilité de devenir partie à la procédure devant le Tribunal en tant qu’intervenante conformément aux dispositions de l’article 173 du règlement de procédure, une partie à la procédure devant la chambre de recours, autre que le requérant, en l’occurrence Dubai Aviation, puisse être admise à intervenir en vertu des dispositions des articles 142 à 145 du règlement de procédure, et, ainsi, bénéficier du délai prévu par l’article 143, paragraphe 1, de ce règlement (il s’agit d’un délai de six semaines à compter de la publication au Journal officiel de l’Union européenne d’une communication relative à l’introduction du recours en cause).

Pour corroborer cette solution, le Tribunal se réfère à l’exposé des motifs qui accompagnait le projet de modifications du règlement de procédure du 22 septembre 1994 visant à adapter ce règlement aux spécificités du nouveau contentieux du droit des marques dans lequel le Tribunal avait précisé que les parties à la procédure devant la chambre de recours étaient soumises à un « régime particulier » qui différait du régime d’intervention prévu par les dispositions générales auquel étaient soumis les États membres, les institutions et les autres tierces personnes ayant un intérêt à la solution du litige.

Ainsi, dans l’ordonnance du 8 février 2024, le Tribunal clarifie les conditions de la participation à la procédure devant lui d’une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant. Le Tribunal fait une distinction claire entre les deux régimes d’intervention, à savoir le régime « spécifique » aux litiges concernant les droits de la propriété intellectuelle et applicable à une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant et le régime « général » résultant des dispositions combinées de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et des articles 142 à 145 de son règlement de procédure (pour une analyse de ce régime « général » d’intervention des tiers, voir D. Domenicucci, 2023).

Cette distinction semble résulter pour le Tribunal, tout d’abord, du statut spécifique de l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours et donc de l’étendue plus large des droits de celles-ci dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. En effet, ainsi que le Tribunal l’a rappelé, l’article 173, paragraphe 3, du règlement de procédure confère aux parties à la procédure devant la chambre de recours, autres que le requérant, une position procédurale équivalente à celle des parties principales. Plus particulièrement, les intervenants au titre de l’article 173 du règlement de procédure peuvent non seulement soutenir les conclusions d’une partie principale, mais également formuler des conclusions et des moyens autonomes par rapport à ceux des parties principales (voir, en ce sens, Boss c. OHMI, Delta Biomichania Pagatou (BOSS), point 17). Cette disposition déroge, dès lors, en application de l’article 53, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 40, quatrième alinéa, de ce statut, selon lequel les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties principales.

Ensuite, ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs qui accompagnait le projet de modifications du règlement de procédure du 22 septembre 1994, invoqué par le Tribunal, cette solution suit également la logique ayant conduit aux modifications du règlement de procédure visant à adapter ce règlement aux spécificités du contentieux du droit des marques et faisant une distinction entre l’intervention « accessoire », en vertu des dispositions du règlement de procédure régissant le contentieux relatif aux recours directs, et l’intervention « principale et autonome », en vertu des dispositions spécifiques régissant le contentieux relatif aux droits de la propriété intellectuelle.

En effet, outre les motifs rappelés par le Tribunal dans l’ordonnance, l’exposé des motifs en question met l’accent sur la nature privée d’un litige entre les parties relatif, notamment, à une procédure d’opposition où, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, l’EUIPO agit, certes, en tant que partie défenderesse mais il n’agit ni dans l’intérêt de l’une des parties privées, ni dans l’intérêt propre. Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie, s’agissant de la position procédurale de l’EUIPO dans une procédure de recours en matière de marque de l’Union européenne dirigée contre la décision d’une chambre de recours, si celui-ci ne dispose pas de légitimation active requise pour introduire un recours contre une telle décision, il n’est pas tenu de défendre systématiquement toute décision d’une chambre de recours ou de conclure obligatoirement au rejet de tout recours dirigé à l’encontre d’une telle décision, mais peut se rallier à une conclusion de la partie requérante ou encore se contenter de s’en remettre à la sagesse du Tribunal, tout en présentant tous les arguments qu’il estime appropriés pour éclairer le Tribunal (voir, en ce sens, GE Betz c. OHMI – Atofina Chemicals (BIOMATE), points 32 à 36 ; BRF Singapore Foods c. EUIPO – Tipiak (Sadia), non publié, point 22 et jurisprudence citée).

De ce fait, l’intervention devant le Tribunal de l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours ne doit ni être conditionnée par le dépôt d’une demande d’intervention ou limitée au soutien des conclusions de l’EUIPO, ni être soumise à une condition relative à l’intérêt à la solution du litige visée à l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cet intérêt relevant de l’évidence, les parties privées à la procédure devant la chambre de recours étant toujours « directement intéressées par l’issue du litige », ainsi qu’il a été relevé dans l’exposé des motifs.

Par conséquent, le régime « général » de l’intervention n’a pas, par sa nature même, à s’appliquer à cette autre partie à la procédure devant la chambre de recours et ce quand bien même les droits procéduraux dont dispose un intervenant au titre des articles 142 à 145 du règlement de procédure ne sont pas les mêmes – car plus limités – que ceux prévus à l’article 173, paragraphe 3, de ce dernier.

Par ailleurs, il convient de souligner que, selon l’exposé des motifs accompagnant le projet de modifications du règlement de procédure du 22 septembre 1994, le régime d’intervention prévu au sein des dispositions du règlement de procédure régissant le contentieux relatif aux recours directs est applicable, notamment, à « d’autres tierces personnes » ayant un intérêt à la solution du litige ce qui doit être compris comme visant les « tiers » autres qu’une partie à la procédure devant la chambre de recours, autre que le requérant.

Enfin, cette interprétation du régime applicable à l’intervention dans la procédure devant le Tribunal de l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours semble également ressortir de l’ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juillet 2022, Cipla Europe c. EUIPO et Glaxo Group (non publiée), invoquée par le Tribunal dans l’ordonnance du 8 février 2024.

Dans cette ordonnance du 12 juillet 2022, en se prononçant sur un moyen visant, en substance, à demander, notamment, d’appliquer à Cipla Europe, l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours, un régime similaire à celui prévu à l’article 116, paragraphe 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal, abrogé au 1er juillet 2015, lequel s’appliquait aux interventions dans le cadre des recours directs, le vice-président de la Cour a relevé, à titre surabondant, que le statut devant le Tribunal d’une partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO autre que le requérant devant le Tribunal était régi par l’article 173 du règlement de procédure (point 59 de l’ordonnance). En rappelant qu’une partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO autre que le requérant devant le Tribunal qui, n’ayant pas présenté de mémoire en réponse à la requête dans le délai prévu à cet égard par l’article 179 du règlement de procédure, n’a pas la qualité de partie devant le Tribunal et, passé ce délai, ne peut donc présenter d’observations au cours de la procédure menée devant celui‑ci, il a conclu que Cipla Europe ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas lui avoir reconnu les droits procéduraux qui ont été octroyés, sous l’empire de l’ancien règlement de procédure, à des personnes ayant introduit tardivement une demande d’intervention (voir, en ce sens, les points 61 et 62 de ladite ordonnance). Il semble que, bien que statuant à titre surabondant, le vice-président de la Cour a également considéré que les dispositions régissant l’intervention dans le cadre des recours directs ne s’appliquaient pas à l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours, le statut de celle-ci étant soumis aux seules dispositions du règlement de procédure régissant spécifiquement le contentieux relatif aux droits de la propriété intellectuelle.

En conclusion, conformément à la position adoptée par le Tribunal en formation élargie dans l’ordonnance du 8 février 2024, une partie à la procédure devant la chambre de recours autre que le requérant souhaitant défendre ses droits dans le cadre de la procédure devant le Tribunal doit impérativement, sous la seule réserve des circonstances exceptionnelles constitutives d’un cas fortuit ou de force majeure, déposer un mémoire en réponse dans les délais visés à l’article 179 du règlement de procédure et ne saurait se prévaloir, en outre, de l’application du régime d’intervention visé aux articles 142 à 145 du règlement de procédure et ce quand bien même son mémoire en réponse ou, le cas échéant, une demande d’intervention introduite au titre de ces dispositions, serait déposé dans le délai visé à l’article 143, paragraphe 1, de ce règlement.